Suzanne est âgée de 62 ans. Elle est fatiguée par une vie difficile et son visage garde les traces de toutes les épreuves que la vie lui a infligées.
Il y a quatre ans elle rentrait pour la première fois à l’hôpital pour une décompensation oedémato-ascitique. Son ventre était plein d’eau et son foie ne fonctionnait plus suffisamment pour lui permettre une vie normale. Le bilan était lancé et on découvrait qu’elle était porteuse d’une hépatite C en stade de cirrhose grave.
Dans le jargon médical nous avons « asséché » sa cirrhose, puis nous avons commencé à parler de traitement. Suzanne ne savait pas comment elle avait été contaminée, mais avec l’équipe d’éducation thérapeutique, nous tentions de la rassurer, lui expliquant qu’elle était infectée par le « bon » génotype puisqu’elle était porteuse d’un virus de génotype 3A, comme s’il pouvait y avoir de bons virus !
Après une lente préparation nous avons commencé la bithérapie interféron et ribavirine. La tolérance était médiocre mais en quatre semaines seulement, le virus n’était plus détecté dans le sang. Nous avons donc, d’un commun accord, arrêté le traitement à 6 mois. Un mois après cependant, le virus était de nouveau présent, et le traitement avait été insuffisant. Pour les personnes infectées par un génotype 3A, il n’existe pas de nouvelle molécule en perspective, aussi la seule option possible était de reprendre le même traitement pour 12 mois. Après une courte pose et un nouveau bilan de sa cirrhose qui semblait stable, Suzanne acceptait de se lancer dans cette nouvelle aventure. Le traitement fut difficile mais le résultat était là, à nouveau, avec un virus indétectable qui le restait même 6 mois après la fin du traitement. Elle était virologiquement guérie bien que la cirrhose fut toujours présente et un suivi de cette cirrhose avec prises de sang régulières et échographies a donc été mis en place. Suzanne allait de mieux en mieux mais certains éléments restaient suspects dans son bilan, l’alpha-foetoprotéine augmentant lentement mais significativement malgré des échographies stables. L’alpha foetoprotéine est cette protéine qui est parfois secrétée par les tumeurs et dont le dosage régulier en cas de cirrhose peut permettre de faire un diagnostique précoce de l’apparition d’un cancer. Et puis la dernière échographie réalisée il y a 5 jours a fini par retrouver une image de cancer du foie de 2,8 centimètre qui n’était pas visible auparavant.
Guérir tardivement ne permet pas toujours d’éviter un cancer du foie.
C’est la raison pour laquelle nous devons rappeler sans cesse que les personnes infectées et déjà parvenues au stade de cirrhose doivent être traitées le plus rapidement possible et ne pas attendre de nouvelles molécules dont on ne connait pas encore les dates de mise à disposition sur le marché.
Cirrhose = guérir maintenant pour ne pas guérir trop tard.
Et demain, je verrai Suzanne en consultation pour lui proposer un autre type de traitement.
Pascal Mélin