MERCI À CELUI QUI M’A CONTAMINÉ

« Avant de mourir je voudrais remercier celui qui m’a contaminé ».
Quelle phrase bouleversante ai-je entendu ce jour-là. J’étais en face d’un malade porteur d’une cirrhose due à une hépatite C post-transfusionnelle responsable d’un cancer du foie inopérable et cet homme n’avait pas de colère !
Dans mes représentations, toutes les personnes contaminées par transfusion, même s’il n y avait pas eu « faute » puisque l’on ne connaissait pas le virus de l’hépatite C à cette époque, devaient être en colère.
Et là, en face de moi, se tenait un homme qui non seulement n’éprouvait pas cette colère que j’estimais légitime, mais mieux encore remerciait celui qui l’avait contaminé !
C’était incompréhensible. Je me suis assis tout près de lui et il m’a raconté que 32 ans auparavant, après avoir consommé de l’alcool et repris la route en voiture, il avait eu un violent accident n’impliquant fort heureusement que lui-même. Les pompiers avaient mis plus de deux heures à le sortir de sa voiture et pour le maintenir en vie pendant toute l’intervention de désincarcération, on l’avait transfusé avec plus de 15 poches de sang avant de le transporter moribond au bloc, et de l’opérer en urgence d’une rate rompue responsable de cette hémorragie interne massive.
« Vous comprenez docteur j’aurais du mourir il y a 32 ans… alors oui, je remercie la personne qui a donné son sang, même contaminé, car si aujourd’hui je suis en train de mourir d’un cancer du foie, je ne regrette pas ma vie. J’ai eu 3 beaux enfants, une femme que j’aime et un métier que j’ai adoré ».
Ce « merci » me laissait muet, dubitatif, m’interrogeait sur le sens de ma vie personnelle, de mon engagement professionnel et me bouleversait aussi, comme il me bouleverse encore quand je repense à cet homme pour lequel j’éprouve une certaine admiration en retour de sa leçon d’acceptation et d’humilité de vie, face à ce qu’il y a de plus injuste, telle la maladie.
Quelques semaines plus tard le patient décédait. Le mois suivant, sa femme et sa fille se présentaient à ma consultation pour obtenir un certificat signifiant que leur mari et père était probablement décédé de complications post transfusionnelles. Le droit à réparation est en effet transmissible aux ayants droit. J’ai bien essayé d’expliquer mon point de vue et tenté de les convaincre que demander réparation ne serait peut-être pas sa volonté, j’ai malgré tout écrit et signé ce certificat. En effet je n’étais pas autorisé à raconter ce que cet homme m’avait confié peu avant de décéder et nous n’avions de toute façon jamais abordé ensemble la question de l’indemnisation. Qu’aurait voulu cet homme pour sa femme et ses enfants ? Qu’aurait-il fait à ma place ? Et pour finir, comment m’opposer à ce qui est de toute façon un droit pour la loi française ?
Cette histoire m’a laissé un goût amer car j’ai conservé malgré tout le sentiment d’avoir trahi et bafoué la mémoire de cet homme qui n’avait aucune rancœur d’avoir été contaminé. Mais pour autant, comment juger cette famille et par là même, toutes les autres qui souffrent  probablement à leur manière de la maladie de leur proche et le plus souvent en silence ?
On devrait toujours s’intéresser de près aux familles de ceux que nous prenons en charge et aborder la question de « l’après » avec les patients. Ces temps d’échanges et de paroles manquent souvent à la prise en charge des personnes et contribueraient sans doute à ce que les soignants n’aient pas à jouer au funambule entre éthique, droits des patients et des familles et leur conscience.
Si vous êtes atteints d’une maladie chronique, osez vous exprimer sur ces sujets lorsqu’ils vous tiennent à cœur parce qu’ils vous appartiennent pleinement et exigez que vos décisions soient retranscrites dans le dossier médical à chaque fois que vous le jugerez utile.

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3 commentaires sur “MERCI À CELUI QUI M’A CONTAMINÉ

  1. Oui, la question de l’après ne devrait pas être tabou.
    Nous savons tous que nous allons mourir. Alors, sans en faire une obsession, nous devrions parler librement avec nos proches de nos souhaits, les plus chers et les plus intimes, sans interdit ni inhinition.
    Ce n’est pas simple, mais ça vaut le coup !
    Pourquoi ne pas parler argent, don d’organes, héritage matériel et moral, voire philosophique pendant notre passage sur terre ?
    Je terminerais par cette citation d’Epicure : « De même que la médecine n’est d’aucun profit si elle ne chasse pas la souffrance du corps, la philosophie est inutile si elle ne chasse pas la souffrance de l’esprit ».

  2. Cette volonté d’être entendu après NE DOIT pas être tabou je dirais. Mes proches ont eu bien du mal à évoquer cette éventualité…ils avaient l’impression que j’en parlais comme si je parlais d’un « dossier » à traiter, une autre personne. Non il s’agit bien de moi, mais il faut que tout soit organisé, c’est important pour avoir l’esprit en paix.Cela reste quand même difficile à accepter, mais petit à petit on se rend compte qu’on en parle de plus en plus ouvertement et paisiblement.

  3. « Parler de sa mort et organiser l’après ne fais pas mourir » disais mon père qui a mis ses affaires en « ordre » en 1988 suite à la découverte d’un cancer. Il est décédé en … 2010 (et pas de cette maladie!), à 88 ans en laissant ses affaires « bien en ordre ».
    A la campagne, on parle plus aisément de ces choses là, sans que ce soit pour autant malsain, glauque etc. J’ai la chance d’avoir un entourage que cet « après » n’effraie pas. Chacun sait ce que l’autre désire et cela ne nous empêche pas de vivre sereinement, bien au contraire!

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