Elle s’appelait Simone mais son surnom c’était Momone, un personnage haut en couleurs à Saint-Dizier… Elle nous a quittés il y a quelques jours et je voudrais lui rendre hommage car c’était une hépatante de l’ombre…
Momone, tu faisais partie des grognards de la vieille garde. Tu avais participé aux premières réunions de SOS hépatites lorsque nous n’étions pas encore dix. Tu avais eu l’idée géniale d’acheter du ruban vert pour imiter le ruban rouge du VIH, à l’époque tu m’avais dit : « La couleur des maladies du foie c’est le jaune, mais je préfère le vert c’est la couleur de l’espoir. Je ferai des rubans jaune et rouge pour les co-infectés VIH-VHC ». On était en 1997…
Tu aimais à raconter à qui voulait l’entendre que tu étais là quand j’étais arrivé comme interne dans le service… Puis tu avais perdu pied dans l’alcool pour supporter les embûches que la vie te réservait. Et puis un jour tu semblais plus perdue encore, plus maigre, perdue et dénutrie. On avait alors découvert que tu présentais une hépatite C aigue. Je mis alors en application ce que j’avais appris, il faut traiter les hépatites aigues. Mais j’étais bien prétentieux et l’alcool a détruit ton futur, tu vivais au jour le jour sans te soucier des lendemains, et le traitement de cette hépatite aigue n’avait donc aucun sens… Pendant deux ans on t’a vu tournoyer dans ta maladie alcoolique. Au bout de deux ans tu as accepté une première biopsie hépatique d’évaluation, celle-ci retrouvait un score de fibrose F2. Tu as alors accepté un sevrage dans un but de traitement. À 10 jours de sevrage on avait débuté une bithérapie interféron ribavirine. Malheureusement, au bout de 3 semaines tu avais présenté une décompensation psychiatrique qui avait nécessité ton transfert en psychiatrie. Pour te rassurer, tu avais alors repris le chemin de l’alcool. Tu acceptais régulièrement de venir parler de la souffrance de ta vie. Deux ans après, une nouvelle biopsie révélait qu’en seulement 4 ans, les liaisons dangereuses alcool et virus de l’hépatite C t’avaient amené à la cirrhose… Tu acceptas alors un passage en postcure puis en psychiatrie ou tu découvrais les ateliers d’écriture et l’art-thérapie. Alors que nous étions craintifs sur la reprise d’une bithérapie, c’est toi qui nous as rassurés. On a débuté le traitement, la tolérance était difficile mais tu étais abstinente, progressivement tu as guéri.
Tu es sortie de l’hôpital psychiatrique, tu as fini ton traitement sans alcool. Et tu as alors brandi ta guérison comme un étendard repris sur un champ de bataille. Cette abstinence a duré 7 ans. Sept années pendant lesquelles tu as écrit dans les ateliers d’écriture, en art-thérapie tu as réalisé de nombreux objets. Sur mon bureau il y a toujours la main que tu m’as offerte et la godasse trouée…
Puis la vie t’a de nouveau fait souffrir et l’alcool revenu. Mais tu avais gagné du temps et montré à tes enfants que tu étais plus forte que l’alcool.
Tu as continué de vivre en funambule, en équilibre, sans complétement tombé, tu étais devenue grand-mère. Hier, j’ai rencontré ta fille et ta petite-fille qui m’ont appris la nouvelle… Il y a quelques jours tu t’es endormie et tu ne t’es pas réveillée…
Tu m’as appris que ce n’était pas aux médecins de décider de la guérison, mais aux malades. L’alcool n’est pas incontournable et les soins de la maladie alcoolique peuvent passer par les soins de l’hépatite C. Tu nous as demandé de te faire confiance pour nous prouver que c’était possible.
Merci Momone, tchao la rebelle.
Pascal Mélin
Merci Momone! Et merci Pascal!