Il y a des livres qui vous racontent de belles histoires et il y a ceux qui vous apprennent des choses. Mais plus rarement il y a des livres qui font les deux, en voici un !
« La vie immortelle d’Henrietta Lacks » de Rebecca Skloot aux Editions Calmann-Lévy, publié en 2010 (21,50 euros).
Son nom ne vous dit probablement rien, Henrietta Lacks, et pourtant nous sommes des milliards à lui devoir quelque chose. Sans dévoiler le livre, je voudrai vous éclairer un peu. Après la Seconde Guerre mondiale les découvertes médicales explosent avec en particulier l’arrivée des antibiotiques. Pourtant, la science médicale bloque sur la question des cultures cellulaires. N’arrivant pas à cultiver des cellules saines plusieurs chercheurs se tournent vers les cellules cancéreuses qui sont par définition immortelles. Mais faute de milieu de culture correcte toutes les tentatives échouent. C’est alors qu’en 1951 Henriette Lacks, cette Afro-Américaine qui travaillait dans les champs de tabac du sud des Etats-Unis, est atteinte à l’âge de 31 ans d’un cancer foudroyant de l’utérus. Les médecins réalisent un prélèvement qui permet le diagnostic mais malheureusement Henrietta ne survivra pas. Par contre, ses cellules cancéreuses sont résistantes et se reproduisent sans jamais s’arrêter. Les médecins tiennent alors leur première culture cellulaire et du nom de la patiente on la nomme, HeLa. Les cellules HeLa ont été échangées à travers tous les laboratoires du monde. On estime aujourd’hui que l’on développe plus de 50 millions de tonnes de cellules HeLa. C’est juste vertigineux ! Cette culture cellulaire a permis le développement du vaccin contre la polio, de tester et comprendre l’action des chimiothérapies, les cellules d’Henrietta ont même été embarquées en 1960 dans le deuxième satellite lancé par les soviétiques puis aussitôt à bord du satellite Américain Discoverery XVIII pour voir leur comportement dans l’espace, ou leur réaction à l’exposition des rayons.
Henrietta est à l’origine de dizaines de découvertes scientifiques. Pourtant elle a permis aussi une révolution éthique. C’est ce que nous apprend Rebecca Sklott, journaliste d’investigation scientifique. On apprend ainsi qu’avant la découverte des cellules HeLa, il avait été décidé de contaminer volontairement des enfants déficients de centres spécialisés de l’hépatite B. De la même façon on a mis en contact avec du plomb des enfants noirs pour confirmer le lien avec le saturnisme. Tous ces essais ont été réalisés sans aucune information ni consentement des patients, on a même osé faire des greffes de cellules cancéreuses… Il faudra attendre 1966 pour que le NIH (National Institutes of Health) et ACLU (Union Américaine pour les Libertés Civiles) demandent l’interdiction de telles pratiques. Dans ce livre on apprend aussi qu’un certain Slavin au début des années 70 (hémophile de son état, mais surtout sans travail) avait vendu son sang à Baruch Blumberg (médecin, prix Nobel pour la découverte de l’hépatite B) pour élucider la production d’anticorps et tenter de mettre au point un vaccin. Dans les années 80, le virologue allemand Harald zur Hausen découvrit une nouvelle souche de virus le papilloma virus (HPV-18) qui était présent dans les cellules HeLa et fit le lien avec le cancer du col de l’utérus et expliqua ainsi la maladie d’Henrietta. Cela vaudra au virologue allemand un prix Nobel et permettra le développement d’un vaccin. Enfin, le Dr Axel réussit à infecter les cellules HeLa par le VIH ce qui a alors permis d’accélérer la recherche…
Mais au-delà de ces découvertes, c’est aussi l’histoire d’une saga familiale avec des enfants qui bien que faiblement instruits se sont posé les questions : ces cellules, est-ce encore notre mère ? Pourquoi ne nous en a-t-on jamais parlé ? À qui appartiennent ces cellules ? Maman est-elle allée dans l’espace ? Qui doit toucher les dividendes des cellules HeLa ?
Cela renverra tous les hépatants à la question : suis-je propriétaire de mon virus ?
Merci madame Henrietta Lacks vous êtes une grande dame nous vous devons beaucoup, les hépatants vous saluent.
Un livre à mettre dans la bibliothèque hépatante.
Pascal Mélin