Il est des études qui au-delà des résultats médicaux, viennent bouleverser les représentations de tous. Ce sera assurément le cas de la cohorte IPERGAY dont le double aveugle vient d’être levé mais dont les résultats définitifs ne seront publiés qu’en 2015.
Chaque année, en France ce sont 6000 personnes qui se découvrent porteuses du VIH alors que l’on estime les contaminations à environ 5000 par an. Malgré tous les efforts de communication et de développement de la prévention, il semble impossible de descendre en dessous de ces chiffres. Actuellement 99% des nouvelles contaminations sont des transmissions sexuelles, mais les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) restent une communauté particulièrement exposée puisqu’elle représente 42% des nouvelles contaminations. Il était donc urgent de réfléchir à la prévention de façon différente au sein de cette communauté et de nombreuses équipes, autour de la planète, se sont lancées dans ce défi. Cette réflexion était souhaitée, réclamée, attendue par les communautés gay et activistes historiques de San-Francisco mais, également de nombreux pays comme la France.
Ainsi un nouveau concept c’est développé : celui des traitements prophylactiques pré-exposition (Pr-EP). Les résultats étaient variables mais chez les HSH, l’essai IPREX a montré une réduction de 42% des contaminations dans les groupes de patients recevant une combinaison de deux médicaments anti-rétroviraux (Ténofovir/emtricatbine : le truvada). En Grande Bretagne l’essai PROUD se mettait en place, ni les patients ni les médecins n’était informé mais un groupe recevait du truanda dès la première année, alors que le deuxième groupe recevait un placebo puis du truvada la deuxième année. Sur le même concept l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites) mettait en place en février 2012 l’essai IPERGAY, coordonné par le Pr Molina. Il s’agissait là encore d’une étude en double aveugle mais le traitement par truvada n’était pris qu’au moment des rapports sexuels et le comité scientifique dans lequel plusieurs associations gay étaient présentes, insistait sur la mise à disposition de préservatifs, de gel, d’information et de vaccination contre l’hépatite B ainsi que le dépistage des autres maladies sexuellement transmissibles.
400 volontaires ont accepté de rentrer dans cette étude sans savoir s’ils recevraient un placebo ou un traitement antirétroviral. Il y a quelques mois les anglais ont levé le double aveugle de l’essai PROUD car il ne semblait pas éthique de retarder l’accès au traitement des usagers informés de cette décision et des résultats spectaculaires de l’essai PROUD. Le comité indépendant de l’ANRS a estimé lui aussi qu’il n’était pas éthique de poursuivre l’étude qui a donc été suspendue pour permettre à tous les participants d’avoir du truvada en PrEP. En France, aussi les résultats semblent spectaculaires et seront publiés en 2015. Mais c’est dès décembre 2014 que l’ANRS via un communiqué de presse a informé l’ensemble de ses partenaires de cette décision.
Il reste maintenant le débat politique et sanitaire à développer car de nombreuses questions se posent. Ces traitements pré-expositions seront-ils pris en charge et remboursés par la sécurité sociale alors que les préservatifs ne l’étaient pas ? L’accès en sera-t-il libre ou réglementé sur prescription ? L’utilisation des PrEP ne va-t-il pas s’associer à un effondrement de l’utilisation du préservatif comme mode de protection de toutes les infections sexuellement transmissibles ? Verrons-nous des souches résistantes apparaitre ? Ce concept est-il acceptable à l’échelon mondial alors que plus de la moitié des personnes infectées au monde n’ont toujours pas accès à un traitement ? Que dire des autres communautés concernées comme les usagers de drogues par voie veineuse ou les travailleurs du sexe ?
Les consciences seront ébranlées, ce qui amène le Pr Molina coordonnateur de cet essai à déclarer : « L’efficacité observée ne doit néanmoins pas faire oublier que le préservatif reste la pierre angulaire de la prévention. C’est en additionnant tous les outils de prévention qui auront fait leur preuve que nous serons en mesure de contrôler efficacement l’épidémie du VIH/sida « .
Le Pr Delfraissy qui dirige l’ANRS ajoute : « C’est une avancée majeure dans la lutte contre le VIH. Les résultats d’ANRS IPERGAY devraient faire évoluer les recommandations nationales et internationales en matière de prévention contre le VIH« .
Les communautés gays sont maintenant reconnues et de telles études visent à mieux les protéger mais au-delà du développement de la réduction des risque (RDR) chez les usagers de drogues, sommes-nous prêts à envisager une cohorte ipertox ? Et que dire de l’hépatite C ? Peut-on imaginer aujourd’hui un traitement prè-exposition pour ne pas se contaminer alors que les traitements restent couteux et les transmissions essentiellement liées à l’usage de drogue ?
Le débat continue… Et vous, vous en pensez quoi ?
Pascal Mélin