Ismaël est un toxicomane suivi depuis plus de douze ans dans un centre d’addictologie. Depuis plusieurs années, les professionnels de santé savent qu’Ismaël est porteur d’une hépatite C mais seules quelques personnes semblent s’en inquiéter. La plupart tente de le « suivre » mais sans jamais le rattraper.
Son parcours a le chaos d’un usager de drogues passant de la prison à des larcins divers, jouant au chat et à la souris ou essayant peut être tout simplement de jouer à la vie. Il ne « deale » pas, il dépanne. Il ne se cache pas, il se fait discret. Il ne rechute pas il craque juste un peu. Quand on le prend en flagrant délit de « mensonge » il sourit et rétorque qu’il a compris qu’on obtient plus souvent ce que l’on veut en mentant plutôt qu’en disant la vérité et que c’est pour nous épargner sa vérité qu’il la modifie.
De faux pas en glissades, l’ensemble de l’équipe est restée disponible, l’accueillant encore et encore en tentant de bâtir de nouveaux projets avec lui.
Et puis un jour Ismaël accepte de faire le bilan de cette maladie du foie qui lui semble si étrangère. En prononçant le mot de cirrhose j’ai alors provoqué un « je ne bois pas je suis musulman, ce n’est pas possible », réponse habituelle et conforme aux représentations individuelles et collectives traduisant que seul l’alcool peut être à l’origine de cette maladie. Il a donc fallu réexpliquer les liens entre cirrhose du foie et hépatite C et, pour la première fois, ce mot d’hépatite a semblé prendre sens et résonner en lui. Puis Ismaël est retourné en prison où il a été mis en isolement … à cause de ton hépatite C. Les représentations peuvent avoir la vie dure, y compris chez les professionnels de santé !
À sa sortie nous avons repris le relais de son traitement de substitution et Ismaël a alors demandé si nous pouvions tenter de le guérir de cette hépatite. La majeure partie de l’équipe y était opposée compte-tenu de son parcours de vie plutôt chaotique mais deux d’entre-nous étaient prêts à saisir cette « opportunité de soin » puisqu’elle résultait de sa demande.
Le traitement a duré une année, avec des hauts et des bas faits de périodes de reprise de produits interprétées par Ismaël comme étant liées aux effets secondaires du traitement. Mais tous se sont accrochés, le patient comme l’équipe soignante, et 6 mois plus tard le virus était indétectable. Une sacrée revanche après toutes ces années de galère ! À l’annonce de sa guérison, Ismaël nous a confié n’avoir fait que deux choses de bien dans sa vie : guérir de son hépatite et… sa fille. Fort de cette réussite, nous l’avons incité à entreprendre des démarches auprès de l’AFPA (Association nationale pour la Formation Professionnelle des Adultes) et de reprendre contact avec cette petite fille qu’il n’avait pas vu depuis 6 ans, en insistant sur le fait que finalement tout ceci n’était pas vraiment plus difficile à faire que de guérir de l’hépatite C !
Ismaël a relevé ces nouveaux défis. À ce jour, il ne prend plus de produit, tente de rattraper avec sa fille tout le temps égaré et va de formations en stages, même s’il n’a pas pour autant trouvé un emploi. En attendant, il semble avoir réussi là où tout le monde le pensait perdu.
Pourquoi avoir raconté cette histoire ?
Tout simplement pour insister sur le fait que nous n’avons pas à prédire des combats de l’autre. Du reste, nous pouvons nous demander quel est l’impact de nos prédictions sur les projets, ou tranches de vie des personnes que nous rencontrons, d’autant qu’au fil du temps, la maladie peut prendre sens et devenir une chance pour changer sa vie. Nous ne pouvons donc qu’accompagner, sans céder au découragement, que l’on soit soignant ou encore responsable associatif.
Cet accompagnement démontre qu’il faut réapprendre ou apprendre à prendre soin de soi pour pouvoir accéder aux soins.
Merci Ismaël. Toi aussi tu as plaqué l’hépatite C.
Pascal Mélin