« Priority Policy » ou l’art politique de ne rien faire
Par Philippe SOGNI
(e-journal du 26 Avril 2015, La Lettre de l’Hépatogastroentérologue)
Mettre des priorités en politique est nécessaire mais ces priorités doivent être dictées par l’intérêt général et ne doivent pas conduire à la négligence du reste. Dans ce dernier cas, on est dans le général, le court terme et l’individualisme que l’on reproche tant à nos civilisations modernes.
Il n’est qu’à voir les boat-people méditerranéens sombrant avec leur « cargaison » pour mesurer la distance (le recul) que nous avons accomplie entre l’accueil des boat-people vietnamiens en 1979 et les non-décisions européennes et françaises de ces derniers jours. Bien sûr, il n’y a plus Jean-Paul Sartre et Raymond Aron se réconciliant sur le perron de l’Elysée pour plaider cette cause. Bien sûr, l’Europe n’est plus celle des Trente Glorieuses, encore auréolée de la réconciliation franco-allemande et aveuglée par la société de consommation. Bien sûr, le budget de la France n’est plus ce qu’il était. Bien sûr, le Moyen-Orient est un bourbier dangereux. Bien sûr tout se discute à Bruxelles où l’on parle de « Priority Policy » et de budget, plutôt que d’Europe. Bien sûr que les prises de décisions s’y font à l’unanimité, ce qui est une aberration démocratique… Bien sûr !
Les choix pour la santé en France sont du même ordre. Les choix ne doivent pas conduire à la négligence. On ne peut pas choisir entre le traitement du cancer, de l’hépatite C, du diabète ou encore de l’alcool. On prend tout ! Et on commence par traiter les personnes qui en ont le plus besoin. Et ceux qui en ont le plus besoin, on l’évalue par des critères objectifs : mortalité, morbidité, qualité de vie… On en évalue les besoins actuels mais également futurs ; on fait de la prospective (Oh le gros mot !). Toutes ces données sont connues, moulinées, rapportées par les chercheurs… Bref du lourd et pas des conférences de presse ministérielles.
Les mots importants ne sont pas « choix » mais « répartition », pas « négligence » mais « priorisation », pas « préférence nationale » mais « universalité ».
NE PAS SE TAIRE : HEPATHERe…
Le dernier jour de l’EASL se consacrait aux late breaker c’est-à-dire les dernières communications.
L’ANRS (Agence Nationale pour la Recherche sur le Sida et les Hépatites) a débuté depuis 2013 le recrutement d’une cohorte de 17000 patients porteurs d’hépatite B ou C appelé Hépater. A ce jour, 3500 patients ont déjà été traités antiviraux directs et permettent donc d’avoir des données dans la vrai vie. 409 patients ont été traités par sofosbuvir et daclatasvir avant juillet 2014 pendant 12 ou 24 semaines avec ou sans ribavirine (92 avec et 317 sans). Il ressort de cette observation dans la vraie vie que le principal facteur d’échec est d’être porteur d’une cirrhose ou d’avoir été pré-traité. Si l’on utilise de la ribavirine on peut obtenir presque 100% de guérison. A l’heure où les traitements des personnes atteintes d’hépatite C doivent être contenus dans une enveloppe financière fermée, il est intéressant de constater que chez les nouveaux patients un traitement de 3 mois en tri thérapie par sofosbuvir /daclastavir/ribavirine fait aussi bien que sofosbuvir / daclastavir pendant 6 mois. Ce qui permettra de faire des économies significatives et de ne traiter les patients que 3 mois mais attention aux effets secondaires de la ribavirine (anémie). Que de progrès !
Génotype 4 quoi de neuf ? Peu de données sont disponibles avec les nouveaux traitements. Grâce à Hépather, 82 patients (dont 67 cirrhotiques) présentaient une infection avec un génotype 4. Les traitements par sofosbuvir/daclatasvir faisaient aussi bien que ceux par sofosbuvir/simeprevir avec plus de 90 % de guérison.
Pour l’hépatite B, alors que l’on imaginait des traitements à vie, l’étude FINITE: 45 patients porteurs du VHB et traités par ténéfovir ils étaient tous avec une charge virale indétectable. Ils ont été divisés en 2 groupes. 21 ont poursuivi le tenofovir et sont restés indétectables. Pour les 21 chez qui le traitement a pu être arrêté à 48 semaines, 3 ont dû reprendre un traitement, 15 avaient des transaminases normales, 1 avait une charge virale inférieure à 2000UI/ML et 2 avaient éliminé l’Antigène HBS. Cette étude laisse l’espoir à des arrêts de traitements possibles mais de façon sauvage bien sûr. Il doit y avoir un strict contrôle médical.
Enfin coup de chapeau à l’étude ALLY3 qui s’intéressait au traitement par sofosbuvir/daclatasvir chez les co-infectés VIH-VHC qui peuvent être maintenant considérés comme des patients comme les autres puisqu’on obtient 97 % de traitement mais les traitements ne peuvent être d’une durée inférieure à 3 mois.
Devant toutes ces bonnes nouvelles l’enjeu reste maintenant le dépistage pour tous et l’accès au traitement.
Pascal Mélin
Dans les milliers de posters présentés à EASL, il se cache toujours des perles que nous présenterons dans les semaines à venir … Merci de nous avoir suivi .
EASL. L’HEPATITE C ENCORE & TOUJOURS …
L’étude japonaise GIFT-1 a été présentée par Sato ce samedi. Elle concernait l’association Ombitasvir/Paritoprevir/ritonavir avec ou sans cirrhose et était utilisée en double aveugle contre placébo pour valider efficacité et tolérance de cette combinaison thérapeutique. Ce sont 363 patients qui ont été traités avec un résultat global de 94,6 % de guérison. Les seuls effets secondaires retrouvés consistaient en 16,7% de rhinopharyngite, 8,8% de maux de crâne et 5,1 % d’œdème périphérique. A priori rien d’insurmontable, mais on attend confirmation dans la vrai vie …
Le Dr Coilly a présenté les résultats de la cohorte CUPILT de l’ANRS. Cette étude s’intéressait aux patients greffés du foie présentant une récidive de juillet 2013 à novembre 2014, ce sont 335 patients qui ont été inclus et retraités par SOFOSBUVIR/DACLATASVIR plus ou moins ribavirine. On obtenait un taux de guérison à 96% avec des effets indésirables essentiellement dus à la ribavirine. Tous les marqueurs de la fonction hépatique s’amélioraient, ce qui est bien sur spectaculaire malgré quelques échecs et la constatation de l’acquisition de résistance virologique.
Le Pr Bourliére réévoque la place de l’interféron chez les patients porteurs d’hépatite B chronique. Cette étude multicentrique a concerné des patients porteurs chroniques du VHB AgHBe- traités depuis plus d’un an par traitement oral et qui avaient tous une virémie indétectable mais toujours un portage chronique de l’AG HBS. De janvier 2011 à juillet 2012, cette étude multicentrique a proposée à 183 patients de bénéficier de l’adjonction à leur traitement d’une injection hebdomadaire d’interféron (pégasys) par tirage au sort la moitié a été surveillée et l’autre moitié traitée. Les résultats était positifs mais faibles dans le groupe recevant l’interféron on retrouvait 7/90 patients qui éliminaient l’AG HBS et pouvaient être déclarés guéris (8%°) contre 1 seul malade dans le groupe contrôle. Il semble bien que l’interféron puisse booster l’efficacité des antis viraux pour dans certain cas permettre une guérison. Ne rangeons pas trop vite l’interféron.
Pour l’hépatite delta, les espoirs viennent de la présentation faite par l’équipe turque de Yurdayin qui a montré l’efficacité du LONAFARNIB associé à un boosting de ritonavir. Dans cette étude 15 patients ont été sélectionnés, plusieurs dosages thérapeutiques ont étés testés. Le Lonafarnib seul est efficace mais c’est à dose pleine et en association avec le ritonavir qu’on retrouve les meilleurs résultats avec une baisse moyenne de 3,45 log à 8 semaines et même un patient qui a négativé sa charge virale. On retrouvait peu d’effet secondaire et donc une bonne tolérance et les auteurs indiquaient la poursuite du développement de cette molécule.
Le Dr Nyberg a présenté les résultats suggérant que les patients infectés par le VHC présentaient plus de cancer que les patients non VHC, en ayant écarté les cancers liés comme le cancer du foie le lymphome, le cancer du rein ou de la prostate, en tenant compte du poids différent de la consommation d’alcool ou de tabac. Sans donner d’explication ces résultats jettent le trouble et la question qui vient naturellement c’est de se demander si ce risque constaté disparait après guérison ?
Pour finir un coup de chapeau à l’équipe du Dr Ramiére de Lyon et qui a répondu à une question franco-française. Il a repris le statut vaccinal sur la population du grand Lyon et a montré que la politique vaccinale contre le virus B avait permis de contrôler l’épidémie B mais que celle-ci était repartie à la hausse depuis les soupçons qui avaient pesé sur le vaccin .
Enfin une alerte, l’équipe hollandaise de Coenen a présenté les résultats de suivi de dépistage hépatite B et C chez une cohorte de migrants chinois. De 2009 à 2013 4423 patients ont été testés et l’on a pu mettre en évidence un portage chronique de l’antigène HBS chez 6 % d’entre eux. Cette étude visait à montrer l’accès aux soins d’une population migrante, spécifique et concernée mais attention à ne pas favoriser la discrimination et l’exclusion … d’ailleurs n’y aurait-il pas un vaccin efficace pour se protéger ?
Pascal Mélin
EASL. L’ALCOOL AUSSI …
Ce deuxième jour a vu la communication orale de Nathalie Ganne de Bondy qui présentait les résultats du suivi d’une cohorte belgo-française de cirrhose alcoolique compensée. De 2010 à septembre 2014, 20 centres ont recruté 492 patients avec des cirrhoses alcooliques qui ont été suivi. Pour l’alcool 65% étaient abstinent ,15% consommaient moins de 7 verres par semaine la plus part étaient fumeurs (présent ou passé) et 21% présentaient un syndrome métabolique. Sur un suivi médian de 1 an, 50 patients (11%) ont vu apparaitre un nodule dont seul 14 ont été confirmé comme un cancer du foie, sans corrélation avec la consommation actuelle d’alcool ou le syndrome métabolique. Pendant cette période, 28 patients sont décédés mais l’étiologie hépatique n’était retenue que dans 54 % des cas. Les auteurs vont continuer de suivre cette cohorte qui va permettre de réécrire l’histoire naturelle des cirrhoses alcooliques et de confirmer que lorsqu’un nodule apparait il n’est cancéreux que dans 28 % des cas. Le message à tous les cirrhotiques qui ont peur à chaque échographie de surveillance : il y aura peut-être plus de peur que de mal.
Les réinfections chez les usagers de drogues ont été analysées par l’équipe scandinave de Midgard, ils ont suivi pendant 7 ans après leur guérison virologique 161 patients : 40 % avaient des pratiques d’injection pendant la période de surveillance. 12 re-contaminations ont été retrouvées soit un taux de re-contamination de 1,8 /100 patients années traités guéris.
Les rechutes après utilisation du sofosbuvir ont été présentées par Svarovskaia de chez Gilead. Pour cela 8 études de phase 3 avec le sofosbuvir ont été analysé. Sur 1154 répondeurs virologiques à S12, seuls 1142 l’étaient encore à S24 soit 1%. De plus certaines étaient des recontaminations. Il était alors réalisé une comparaison entre la souche pré traitement et celle post traitement. D’où l’importance des sérothèques.
Pour les personnes en échec des nouvelles thérapies, l’espoir vient de la présentation de l’étude de phase 2 SALVAGE. Le recrutement a consisté à recruter 79 personnes en échec de traitement par interféron, ribavirine avec télaprevir/bocéprévir/siméprévir. 43 % étaient cirrhotiques. Ils ont tous bénéficié d’un traitement par grazoprevir (GZR un inhibiteur de protéase NS3/4A), de l’elbasvir (EBR inhibiteur de la NS5A) et de la ribavirine. Seul un patient n’a pas fini son traitement. Les souches virales ont été analysées pour 78 patients, 43,6% avaient un virus variant pour la NS3, 10,1% étaient variants pour la NS5A et 6 d’entre eux avaient un variant pour les deux protéines. Le taux de réponse virologique en fin de traitement était de 100%. A 12 semaines, 96,2 % des patients étaient guéris seuls 3 étaient rechuteurs. Pour les patients présentant une infection avec un variant mutant, le taux de guérison était de 91,2%.
Une équipe autrichienne nous invite à considérer l’hépatite C comme une cause potentielle de maladie cardio vasculaire. Pour arriver à cette conclusion, ils ont travaillé sur la base de données américaines (NIS et Nationwide) qui comprend les dossiers de tous les patients hospitalisés chaque année soit 7 millions de dossiers par an. Ils retrouvaient que 1,9 % des patients étaient infectés par le VHC. Les résultats sont sans appel, les personnes infectés ont deux fois plus de chance de présenter un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral, 88% de maladie coronarienne et un peu plus d’insuffisance cardiaque. Cette étude amène de l’eau à notre moulin quand nous affirmons qu’il ne faut pas traiter les patients uniquement en fonction de leur atteinte hépatique.
Maintenant la question devient : après guérison, le risque cardio-vasculaire s’abaisse-t-il de façon significative ? A suivre…
Pascal Mélin
Jeudi. L’EASL SOUVRE SUR LES STEATOHEPATITES…
Les communications orales, en séance plénière, sont la sélection des meilleures communications proposées auprès du comité scientifique d’organisation. Cette année, la première communication orale était présenté par l’anglais Armstrorg qui présentait les résultats en double aveugle contre placebo, du LIRAGLUTIDE qui semble une molécule prometteuse pour réduire la stéatose hépatique. Ensuite, le Pr Manns de Hanovre a présenté les résultats de l’étude SOLAR 2 qui a confirmé que l’association sofosbuvir/ledipasvir/ribavirine permettait maintenant de traiter et de guérir l’hépatite C, même en situation de post- greffe ou de cirrhose décompensée. Pour le traitement des varices œsophagiennes, en cas de cirrhose, le seul traitement qui avait montré son intérêt était les bêta- bloquants. L’équipe de Baik en Corée a montré que ces derniers pouvaient gagner en efficacité en y associant le Rifaximin. La cancérologie aussi, était à l’honneur, alors que l’équipe française menée par Schulze présentait des résultats sur la génomique de 243 tumeurs hépatiques permettant d’envisager de nouvelle cible pour les traitements anti cancéreux, c’est une voie importante dans le principe de développement des tumeurs et des traitements possibles. Cancérologie aussi, pour l’équipe japonaise de Park qui a testé le TSU-68 (ORANTINIB) avec une bonne tolérance.
Pour l’hépatite C, nous voyons arriver les premiers patients en échec d’un traitement antiviral direct (DAA direct acting antiviral) l’équipe espagnole de Forns qui a proposer un traitement par GRAZOPREVIR/ELBASVIR/RIBAVIRINE dans le cadre de l’étude internationale C-SALVAGE qui permet de guérir définitivement la majorité des patients.
Pascal Mélin